Un mur antique comme frontière

La Grande Muraille de Chine et le mur de l’empereur romain Hadrien, entre l’Angleterre et l’Écosse, sont les exemples les plus connus de murs antiques ayant vocation de frontière. Mais le besoin de délimiter un territoire est évidemment bien plus ancien : il pourrait remonter aux premières civilisations de Mésopotamie et du Proche-Orient, et à plus petite échelle au simple besoin d’enlever les pierres apparentes à la surface des champs cultivés et de les déposer en périphérie.

Jusqu’à aujourd’hui, les civilisations antiques de Mésopotamie et du Liban n’avaient livré que fort peu d’informations sur les limites de leurs royaumes. Mais aujourd’hui une équipe franco-syrienne vient d’identifier en Syrie un mur de plus de 220 kilomètres de long, qui aurait servi de frontière à l’un d’eux.

Ce mur en arc de cercle parcourt la steppe syrienne du nord au sud. Il relie les ruines d’une forteresse à l’une des lignes de crêtes du Djābāl al-Charqui (Montagne orientale, ainsi appelée parce qu’elle est à l’est de la vallée de la Bekaa), une chaîne montagneuse également connue sous le nom d’Anti-Liban. Le type de céramiques trouvées dans cette forteresse, ainsi qu’en certains points du mur suggère qu’il a été utilisé entre 2400 et 2000 av. J-C. Large d’environ un mètre et aujourd’hui en grande partie écroulé sur lui-même, c’est un mur de pierres sèches, trouvées sur place tout au long de son parcours. Certaines d’entre elles sont en matériau friable, comme le gypse, ce qui suggère que le mur servait avant tout de clôture symbolique et n’avait probablement aucune vocation défensive.

Un mur antique comme frontière Le mur en question, près du Gabal Ubaysān. Crédit : B. Geyer.

En fouillant tout autour du mur, les archéologues ont établi qu’il avait sans doute séparé deux types de populations : des agriculteurs sédentaires à l’ouest et des éleveurs nomades à l’est. À l’époque, en effet, la zone à l’est du mur consistait en steppes arides impropres à la culture mais permettant la pâture extensive des animaux. Les sites archéologiques y sont rares, petits, et ils ont été occupés de manière intermittente. À l’ouest en revanche, une grande partie des terres sont cultivables. Les sites archéologiques y sont beaucoup plus vastes, parfois protégés par des enceintes et souvent attenants à des zones cultivables.

La question se pose de savoir qui a fait construire un tel mur. Un ouvrage d’une telle ampleur est forcément l’œuvre collective d’un royaume important. L’une des hypothèses est qu’il s’agit de la frontière orientale du royaume syrien d’Ebla. Cette cité, puissante et prospère à l’époque, est bien connue grâce à ses archives, plus de 15 000 tablettes recouvertes d’inscriptions cunéiformes.

« Certains textes évoquent justement un peuple présent dans la steppe, les Ib`al, explique Bertrand Lafont, du laboratoire archéologies et sciences de l’Antiquité, à Nanterre. Ils pourraient être ces voisins nomades avec lesquels Ebla souhaitait marquer sa frontière. » 

« Mais Ebla est presque en périphérie de la zone couverte par le mur, indique le codirecteur de la mission, Bernard Geyer, du laboratoire Archéorient de Lyon. Il y a des villes moins bien connues mais plus centrales, comme Hama ou Homs. La documentation sur Ebla étant très abondante, nous surestimons peut-être un peu son importance. » Des réponses viendront sans doute de fouilles des sites situés près du mur, ou aux points de passage des anciennes routes. D’autres découvertes pourraient d’ailleurs suivre : « Les ruines de mur sont très fréquentes dans ces régions de steppe, explique Bernard Geyer. Si on prend la peine de les reporter systématiquement sur une carte, peut-être verra-t-on apparaître d’autres frontières. »

Cette découverte archéologique a fait l’objet de publications dans le magazine La Recherche (nº 454, juillet-août 2011) sous le titre "La plus ancienne frontière ?" et dans la revue Paleorient (nº 36/2, 2010), sous le titre "Un « Très long Mur » dans la steppe syrienne".

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