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Une fleur de 30 000 ans

Il y a 30 000 années, dans ce qui allait devenir la Sibérie, un écureuil de l’Âge de Glace cachait des fruits et des graines dans la réserve de son terrier en vue de l’hiver. Il ne s’en est jamais servi, et sa petite réserve s’est retrouvée prise dans le permafrost, c’est-à-dire dans la couche de terre gelée en permanence du sous-sol sibérien.

Il y a quelques mois, à partir de la chair des fruits ainsi congelés, une équipe de scientifiques russes vient de ressusciter un plant entier, après avoir échoué à faire germer des graines surgelées matures. Cette expérience est une grande première et ouvre la voie au retour à la vie d’autres espèces.

Silene stenophyllaLa Silene stenophylla est la plus ancienne plante à avoir jamais été régénérée, expliquent ces chercheurs. Le plant obtenu est viable et fertile, il produit des fleurs blanches et des graines que l’on va pouvoir semer.

Cette expérience prouve que le permafrost est susceptible d’avoir conservé naturellement d’anciennes formes de vie, d’après les chercheurs russes qui ont publié les résultats de leurs travaux dans l’édition du mardi 21 février 2012 de la revue « Proceedings of the National Academy of Sciences » aux États-Unis.

Ils écrivent : « Nous considérons comme essentielle la poursuite de l’étude du permafrost en quête de matériaux génétiques anciens, ceux des organismes qui ont existé avant nous, qui se sont parfois éteints depuis longtemps et ont disparu de la surface de la Terre. »

Svetlana Yashina, de l’Institut de Biophysique Cellulaire de l’Académie des Sciences de Russie, explique que la plante ancienne ressemble fortement à sa descendante moderne, qui continue à pousser dans la même région du Nord-Est de la Sibérie. « C’est une plante très vivace, elle s’adapte vraiment bien. »

Depuis son laboratoire de Pushchino, elle espère bien que son équipe pourra continuer ses travaux et régénérer d’autres espèces de plantes.

Son équipe de recherches avait récupéré les fruits de la Sylene stenophylla après avoir fouillé des dizaines de terriers fossiles ensevelis sous des dépôts glacés sur la rive droite du fleuve Kolyma en Sibérie du Nord-Est, dans des couches sédimentaires datant de 30 000 à 32 000 ans.

Les sédiments s’étaient trouvés étroitement collés les uns aux autres, et souvent saturés de glace, ce qui a empêché toute infiltration d’eau pendant 30 000 ans et ainsi créé une chambre froide naturelle complètement isolée de la surface du monde.

« Les écureuils creusaient le sol gelé pour y faire leurs terriers, qui ont à peu près la taille d’un ballon de football. Ils y disposaient d’abord de la paille, puis des poils de fourrure animale, de manière à avoir un excellent espace de stockage » explique Stanislav Gubin, un des auteurs de l’étude, qui a passé des années à quatre pattes dans la région à gratter le sol à la recherche de terriers d’écureuils.

Les terriers desquels les graines de Sylene stenophylla ont été extraites étaient situés entre 20 et 40 mètres sous la surface du sol actuel, dans des couches de sédiments où se trouvent aussi des ossements de grands mammifères tels que mammouths, rhinocéros laineux, bisons, chevaux et cerfs.

Stanislav Gubin sait désormais que des tissus vivants peuvent survivre à la congélation pendant des dizaines de milliers d’années dans ces circonstances particulières. Il pense bien évidemment à étendre la méthode, dans l’espoir de ressusciter quelque mammifère de l’Âge de Glace… « Avec de la chance, nous pourrions découvrir des tissus congelés d’écureuil. Et en poursuivant dans cette voie, on pourrait aboutir au mammouth. »

Des chercheurs japonais sont déjà à pied d’œuvre dans la même région : ils cherchent des restes exploitables de tissus de mammouths. Mais Stanislav Gubin espère bien que les Russes seront les premiers à découvrir des restes d’animal gelé suffisamment bien conservés pour tenter une régénération : « C’est chez nous, ici. On va essayer de les trouver les premiers. »

Le professeur David Gilichinsky, qui avait dirigé toute l’équipe de recherches, ne le verra pas : il est mort quelques jours avant la parution de l’article de Proceedings.

Référence de l'étude : "Regeneration of whole fertile plants from 30,000-y-old fruit tissue buried in Siberian permafrost", PNAS, vol. 109 no. 10, 2012, 4008–4013. Auteurs : Svetlana Yashinaa, Stanislav Gubinb, Stanislav Maksimovichb, Alexandra Yashinaa, Edith Gakhovaa, et David Gilichinskyb.

Crédits photo : Yashina / PNAS

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