Langage créé par un enfant
Extrait des Mémoires de la Société d'ethnographie, t. XI, 1871, Paris, pp. 131-132.
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Le Quatterly Journal of psychological medecine publie un rapport fort curieux sur une petite fille qui a substitué à la langue parlée autour d’elle une série de mots et de verbes formant tout un idiome dont elle se sert et dont on ne peut la déshabituer.
L’enfant a maintenant prés de cinq ans. Jusqu'à l’âge de trois ans elle est restée sans parler et ne savait que prononcer les mots « papa » et « maman ». Quand elle approcha de sa quatrième année, sa langue se délia tout à coup, et aujourd'hui elle parle avec toute la facilité et la volubilité de son age. Mais de tout ce qu'elle dit, les mots « papa » et « maman », qu’elle apprit d'abord, sont les seuls empruntés à la langue anglaise.
Tous les autres sont nés dans son petit cerveau et sur ses petites lèvres, et n'ont même aucun rapport avec ces corruptions de mots dont se servent les enfants qui jouent habituellement avec elle. Dans son dictionnaire Gaan signifie « Dieu » ; migno-migno, « eau » ; odo, to send for ou take away « envoyer ou renvoyer », selon qu’il est placé ; gar, « cheval ».
« Un jour, dit le docteur Ilun, il vint à pleuvoir. On fit rentrer l’enfant et on lui défendit de sortir avant que la pluie n’eut cessé. Elle se mit à la fenêtre et dit : « Gaan odo migno-migno, feu odo. » : Dieu, renvoie la pluie, apporte les feux du soleil. Le mot feu appliqué dans le même sens que dans la langue à laquelle il appartient me frappa.
J'appris que l'enfant n'avait jamais entendu parler français ; chose fort singulière et qu'il serait intéressant de bien constater, car l'enfant a emprunté plusieurs mots à la langue française, tels que « tout », « moi » et la négation « ne pas ».
L'enfant a un frère qui est son ainé d'environ dix-huit mois. Elle lui a appris sa langue, sans lui emprunter aucun des mots dont il se sert. Ses parents sont fort désolés de ce petit phénomène ; on a essayé souvent de lui apprendre l'anglais, de lui donner le nom anglais des choses qu’elle désigne autrement dans son idiome; elle s’y refuse absolument.
On a essayé souvent de l'éloigner des enfants de son âge, de ne la mettre en communication qu’avec des personnes âgées, parlant anglais et ne connaissant rien de son petit jargon. Il y avait lieu d’espérer qu'une enfant qui s’était montrée si avide de communiquer ses pensées que d'inventer une langue nouvelle, chercherait à apprendre l’anglais quand elle se trouverait au milieu de gens ne parlant que cette langue. Mais il n'en a rien été.
Aussitôt qu’elle se trouve avec des personnes qu’elle n’a pas l’habitude de voir, elle se met de suite à leur apprendre sa langue, et, momentanément, du moins, les parents ont renoncé à l’en déshabituer.
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