La civilisation perdue du Grand Zimbabwe
Les Européens espéraient trouver de l'or en Afrique, mais ils découvrirent des trésors d'une nature toute différente, des vestiges d'anciennes civilisations, parmi lesquels les mystérieuses ruines du Zimbabwe.
La découverte
Le 5 septembre 1871, l’explorateur allemand Karl Mauch atteignait enfin le but de son voyage. Les ruines de Zimbabwe s’étendaient sous ses yeux. Ce jour-là, il écrivit dans son journal : «... Il nous fallut encore progresser une demi-heure dans la petite vallée qui longe le fleuve pour atteindre la colline haute d’environ 400 pieds que tous regardaient avec crainte. Une longue ligne de ruines, où se dressait encore par endroits un mur, nous servait de fil conducteur... »
Parmi toutes les ruines, des vestiges sur la colline et une enceinte presque ovale dans la plaine, au pied de la colline de granité, attirèrent particulièrement son attention.
Examinant de plus près les vestiges de la plaine, il établit qu’il s’agissait « d’un mur... en blocs de granité taillés atteignant presque 20 pieds de haut ; je n’eus pas besoin de chercher longtemps une entrée : tout à côté se trouvait un endroit où une sorte de sentier conduisait à l’intérieur par-dessus les ruines des murs... »
Comme les populations locales construisaient leurs huttes en torchis, Mauch fut extrêmement surpris de trouver des ruines de pierre. On a découvert jusqu’à présent, de l’océan Indien à l’Angola, un grand nombre de sites africains comportant des constructions en pierre ; la plupart d’entre eux - plusieurs centaines - ont été étudiés et recensés sur le plateau compris entre le Zambèze et le Limpopo.
Dans la langue des Shona, qui habitent l’actuelle république du Zimbabwe et le nord du Mozambique, Zimbabwe signifie « maisons de pierre ». Afin d’éviter toute confusion, on appelle aussi Grand-Zimbabwe le site découvert par Mauch en 1871, le plus grand de tous.
C’est le goût de l’aventure qui l’avait conduit ici, et le désir de découvrir « la plus riche, la plus importante et jusqu’à maintenant la plus mystérieuse région d’Afrique... », confiait Karl Mauch en juillet 1871 à son journal.
Trois ans plus tôt, il avait écouté avec passion les récits du missionnaire allemand Alexandre Merensky, qui était parti du Transvaal dès 1862 à la recherche des mystérieuses ruines qui devaient se trouver au nord du Limpopo. Son voyage avait été interrompu à cause d’une épidémie de variole, avant même qu’il n’atteigne le fleuve. « Mais les indigènes nous ont donné des renseignements intéressants sur cet endroit. Notre guide... parlait des ruines avec une crainte manifeste ; elles étaient sacrées, l’endroit appartenait aux dieux. »
Merensky et presque tous ses contemporains croyaient que les vestiges de pierre étaient ceux du légendaire pays d’Ophir, d’où le roi Salomon tirait son or et ses trésors, et que l’Ancien Testament évoque dans le premier livre des Rois.
Cette idée remontait au XVIe siècle, au temps où les Portugais établirent leurs premiers comptoirs sur la côte du Mozambique. Des indigènes leur avaient parlé des ruines de pierre dans l’intérieur du pays. Joào de Barros décrit dès 1552 les ruines de Grand-Zimbabwé, qu’il tenait pour une ville de la reine de Saba.
Les controverses sur l'origine de la cité
En énonçant l’hypothèse qu’on pouvait se trouver en face d’Ophir, les savants déclenchèrent, à la fin du XIXe siècle, une sorte de ruée vers l’or des « mines du roi Salomon ». On se mit à fouiller la terre et l’on découvrit même de vieux creusets.
On était convaincu d’avoir découvert une « mine d’or phénicienne » ; des aventuriers avides d’or pillèrent et saccagèrent les ruines et les installations antiques. Grâce à un ouvrage de l’archéologue et explorateur anglais James Theodore Bent, Les Ruines de Mashonaland (1892), Zimbabwe connut une certaine célébrité.
Mais la théorie élaborée par l’auteur, d’après laquelle les ruines seraient les restes d’une ancienne colonie phénicienne ou d’un peuple de l’époque préchrétienne qui y aurait établi une civilisation méditerranéenne, n’a pas facilité la datation exacte des ruines et les recherches d’archéologues plus récents qui cherchaient à établir leur vraie origine.
L’archéologue anglais Richard Nicklin Hall s’était appliqué à défendre la théorie de la colonie phénicienne avec de bons arguments scientifiques. Il avait fait lui-même des fouilles, couronnées de succès, à Zimbabwe.
Aujourd’hui encore il est difficile de se soustraire à la fascination d’ouvrages rédigés en 1882 et en 1904. Mais l’égyptologue David Randall-Maclver examina par le détail les ruines et en dégagea des conclusions personnelles, sans tenir compte d’arguments et de « preuves » invoqués par les auteurs plus anciens.
D’après ce savant, Zimbabwe est d’origine purement africaine et date d’une époque bien plus récente qu’on ne le supposait auparavant, à savoir de la fin du Moyen Age. La ville était florissante encore au XVe siècle. Maclver avait fait des recherches dans sept ruines. Nulle part, il n’avait rencontré d’objets datant d’avant le XIVe ou XVe siècle après J.-C.
L’architecture de Zimbabwe ne recelait pas d’éléments extra-africains, pas de traces de style européen ou oriental. L’ensemble des puissantes bâtisses, le célèbre « Temple elliptique », l’ « Acropole », les « Ruines de la vallée », les fortifications, les constructions cultuelles et résidentielles sont d’inspiration purement africaine.
Malheureusement, il n’y a pas une seule inscription à Zimbabwe. Les maîtres d’œuvre ignoraient l’art d’écrire. Mais Maclver trouva, à côté d’objets africains, un certain nombre d’ustensiles et d’œuvres d’art importés des Indes et d’Asie orientale. Comme ces objets se trouvaient insérés dans les différentes couches des ruines et comme on en connaissait par ailleurs la date de fabrication il a été possible de déterminer l’époque de la construction de toute la ville.
Maclver avait résolu le mystère Zimbabwe, en écartant l’idée d’une civilisation préchrétienne.
Un temple qui n’en était pas un
Les ruines de Zimbabwé donnent l’impression que ses architectes ont joué avec les formes, élevé quelques murs de-ci de-là, et puis, lassés, ont tout laissé en l’état. Elles sont dispersées sur une surface d’environ 40 hectares, dans une zone qui est aujourd’hui un parc national, situé à 25 kilomètres au sud de Masvingo.
Deux édifices se distinguent du reste des ruines : le premier au sens propre, puisqu’il se trouve sur la colline de granité haute de près de 90 mètres qui surgit du paysage environnant ; l’autre est une construction elliptique dont le plus grand axe mesure environ 90 mètres. Karl Mauch avait commencé à les étudier, aussi bien qu’il lui était possible, dès 1871.
La colline est une curieuse composition de blocs de granité parfois énormes, dispersés comme une poignée de dés par la main d’un géant. Entre les blocs de granité s’élèvent des murs et des murets de hauteur et de longueur variables, qui divisent la colline en petites cours.
Le flanc sud de la colline forme une falaise abrupte, dont le sommet est couronné de murs monumentaux qui lui donnent, vus de la plaine, l’aspect d’une forteresse. Le côté nord descend par contre en pente douce vers la vallée. Les murs, plus petits et moins imposants, y paraissent presque insignifiants.
Les vestiges de la colline ont reçu le nom d’« acropole ». Face à eux, dans la plaine, les ruines du bâtiment ovale ont été baptisées « temple ». Ces deux appellations, aussi pompeuses qu’inexactes, ont été conservées par l’usage.
Percé de plusieurs entrées et long de 244 mètres, le mur extérieur du « temple » a une épaisseur maximale de 5,20 m et une hauteur qui peut atteindre 9,80 m. Il a la forme d’un ovale irrégulier et les spécialistes estiment que sa construction a nécessité l’emploi de 5 160 mètres cubes de pierres. « Ce mur est de loin le plus grand édifice de toute l’Afrique au sud du Sahara », écrit Peter Garlake, dans son livre Great Zimbabwe: Described and Explained (1985). A l’intérieur de cette enceinte, plusieurs autres murs délimitent des espaces dont l’un, pratiquement circulaire, peut abriter cinq huttes en torchis.
Un curieux édifice à l’intérieur du « temple » avait déjà attiré l’attention de Karl Mauch : il s’agit d’une massive tour conique de presque 10 mètres de haut et de 15 mètres de circonférence à la base. Contrairement à ce que l’on pensait autrefois, la tour n’est pas creuse mais faite d’un empilement massif de briques de pierre.
En dehors de ces deux principaux vestiges, l’« acropole » et le « temple », Zimbabwe comprend encore plusieurs espaces clos de murs, qui furent nommés d’après le nom de leurs découvreurs. Il y a ainsi des ruines Renders, Mauch ou Posselt.
Pour Peter Garlake, « la seule supposition sensée que l’on puisse faire à propos de ces ensembles de murs est qu’ils entourèrent un jour des édifices aujourd’hui disparus parce que construits en matériaux moins résistants que la pierre ». Les fouilles ont confirmé son hypothèse. Dans plusieurs des espaces clos, le sol était recouvert de plaques circulaires faites d’une couche d’argile mélangée à du gravier. Il s’agissait des planchers de huttes rondes...
Les murs semblent avoir été construits sans plan préalable. Ils ne forment jamais d’angles aigus et se glissent en serpentant entre les habitations. A plusieurs endroits, le mur englobe les inégalités du sol, les bosses et les rochers. Les portions de murs qui se rejoignent ne sont pas imbriquées, laissant toujours subsister un espace entre elles. Ces nombreuses ouvertures étroites, faisant office de portes, permettaient aux habitants de se déplacer à travers le labyrinthe des murs. La plupart de ces passages sont aujourd’hui détruits, mais on sait qu’ils avaient un seuil légèrement surélevé et arrondi et qu’ils étaient surmontés d’un linteau de pierre.
Les murs de Zimbabwe n’ont pas tous été réalisés de la même manière : on distingue trois types de construction, qui ont cependant en commun l’absence de mortier. Les pierres ont été simplement posées les unes au-dessus des autres.
L’archéologue britannique Gertrude Caton-Thompson entreprenait à son tour en 1929 des fouilles minutieuses à Zimbabwe et arrivait globalement aux mêmes conclusions que son collègue Randall-Maclver. Elle data les ruines les plus anciennes du IXe siècle.
A peu près à la même époque que Gertrude Caton-Thompson, l’explorateur et ethnologue allemand Léo Frobenius, spécialiste de l’Afrique, séjourna à Zimbabwe. Ayant déjà effectué plusieurs séjours en Afrique, notamment au Nigeria et au Cameroun de 1910 à 1912, il avait été très intéressé par Zimbabwe.
Curieusement, il ne partageait pas le point de vue des archéologues britanniques. Il admettait certes que les murs de Zimbabwe avaient été érigés par des populations autochtones, mais il était convaincu qu’il s’agissait là d’une culture préhistorique.
Aucune découverte archéologique ne vint cependant étayer sa théorie, uniquement élaborée à partir des histoires et des légendes que ont laissé quelques traces de leur présence : on a en effet retrouvé quelques squelettes présentant des caractères anatomiques propres aux Bochimans et quelques anciennes peintures pariétales caractéristiques sur la colline de Zimbabwé, du côté opposé à l’« acropole ».
Les envahisseurs connaissant le fer, leur entrée dans la région marque le début d’une période historique connue sous le nom d’âge du fer sud-rhodésien, qui ne s’achève qu’au XIXe siècle. Cette version des événements n’est cependant que l’une des nombreuses hypothèses vivement débattues au sein de la communauté scientifique.
Une autre question non résolue est l’appartenance ethnique des habitants de Zimbabwe. Roger Summers considère qu’il s’agissait déjà de Rozwi, une ethnie guerrière du groupe bantou, qui commença à conquérir l’ensemble du territoire de l’actuel Zimbabwe au début du XVe siècle et qui atteignit l’apogée de sa puissance au XVIIIe siècle. Peter Garlake pense au contraire que Zimbabwe était habitée à cette époque, lors de son apogée, par des Shona, des Bantous également.
Il est donc impossible, en l’état actuel de nos connaissances, de dire si ce furent des Shona ou des Rozwi qui fondèrent au XVe siècle l’important empire de Monomotapa. Ce nom, donné par les Portugais, est la déformation du titre de Mwene Mutapa que portaient ses rois et que l’on peut traduire par « seigneur des mines ».
Les Mwene Mutapa dominaient un territoire qui s’étendait du désert du Kalahari jusqu’à l’océan Indien; ils contrôlaient l’extraction de l’or et le commerce avec les Portugais et étaient honorés par leur peuple à l’égal de demi-dieux, comme le fut plus tard le Mambo, le roi des Rozwi. Le souverain était l’intermédiaire entre le peuple et le dieu Mwari. L’« acropole » de Zimbabwe, où se déroulaient d’importantes cérémonies, était leur principal sanctuaire religieux.
Plus tard, les rois déplacèrent leur résidence mais ils continuèrent d’être inhumés à Zimbabwe, qui demeura un important sanctuaire. Leurs tombes furent vraisemblablement pillées. L’arrivée des pillards Ngoni, venus du nord, marqua en 1830 la fin de Zimbabwe.
Vidéo en complément :
Bibliographie / ouvrages de référence :
En français :
- Th. Hallez : « Les ruines monumentales de l'Afrique australe », in Revue des deux mondes, 1 octobre 1894.
- L. de Launey : « Les ruines du Grand Zimbabyé en Afrique australe », in La Nature, nº 1233, 16 janvier 1897.
- Wagret Paul : « Vers la solution d'un mystère : les ruines de Zimbabwé et le test radio-carbone », in Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 10ᵉ année, nº 3, 1955. pp. 363-366.
- Civilisations mystérieuses, Ivar Lissner, 1961.
- Zimbabwe, mystère rhodésien. R. Summers, 1971.
- L'empire du Monomotapa du XVe au XIXe siècle, W. G. L. Randles, 1975.
- Mondes Disparus, F. A. Gunther, 1991.
En allemand :
- Reisen im inneren von Süd-Afrika, 1865-1872. Karl Mauch, 1874.
- Erinnerungen aus dem Missionsleben in Südost-Afrika (Transvaal) 1859-1882.A. Merensky, 1888.
En anglais :
- The Ruins of Mashonaland, and Explorations in the Country. James Theodore Bent, 1892.
- The ancient ruins of Rhodesia (Monomotapae imperium), Richard Nicklin Hall, 1904.
- Medieval Rhodesia, David Randall-Maciver , 1906.
- The Zimbabwe culture: ruins and reactions, Gertrude Caton-Thompson, 1931.
- Great Zimbabwe: Described and Explained, Peter Garlake, 1985.
- The Zimbabwe Culture: Origins and Decline of Southern Zambezian States
Table des illustrations :
- 1) Le Great Enclosure
- 2) Carnet du géologue et explorateur, Karl Mauch.
- 3) Le Grand Zimbabwe apparait sur la carte de Abraham Ortelius "1570 map Africae Tablua Nova" sous le nom de "Simbaoe".
- 4) Photo extraite du livre "
- 6) Vue de l'extérieur de la grande enceinte du Grand Zimbabwe.
Commentaires
Humblement: Bernard Shen.
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