Écriture non déchiffrée - Les tablettes Rongorongo de l'île de Pâques
- Dossier : Symbolisme - Cryptologie
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Coupés du monde pendant des siècles, les habitants de l'île de Pâques connaissaient-ils l'écriture ? Leurs signes gravés, le rongorongo, intriguent et fascinent les chercheurs depuis plus d'un siècle...
C'est un bien étrange cadeau que Mgr Tepano Jaussen, évêque de Tahiti, reçut en 1868. Les habitants de l'île de Pâques, tout juste convertis, lui offrirent une corde de cheveux humains d'une centaine de mètres de long, important élément de parure pour les Pascuans. Elle était enroulée autour d'un morceau de bois sur lequel l'évêque discerna des signes gravés. Stupéfait, il fit activement rechercher d'autres objets porteurs de glyphes.
Très peu de tablettes - nommées kohau rongorongo, littéralement « bâton de chantre » - furent retrouvées. Les rares Pascuans qui avaient survécu aux massacres, à la déportation, à l'esclavage, à la variole, c'est-à-dire aux contacts avec les Européens et les Américains, ne savaient ni lire ni graver les impénétrables signes. La tradition rapporte qu'ils leur furent enseignés par Hotu Matua, le roi fondateur divinisé.
Amateurs et spécialistes tentèrent de les déchiffrer et de répondre à la première des questions : s'agit-il d'une écriture ou de simples dessins ? Leurs efforts furent vains.
Le monde occidental ne pouvait croire que les habitants de cette petite île perdue au milieu du Pacifique à plus de 2 000 km des terres habitées les plus proches, coupés des autres hommes pendant des siècles, avaient inventé une écriture. Les plus sceptiques ne voyaient dans le rongorongo qu'une grossière imitation, dépourvue de sens, de l'écriture occidentale. En guise de signature, les chefs pascuans avaient, en 1770, apposé des signes rongorongo sur l'acte de cession de l'île aux Espagnols. Ils n'auraient fait qu'aligner certaines formes du répertoire iconographique habituellement gravées dans la pierre.
Sur une centaine de sites, les roches de l'île sont en effet gravées de milliers de motifs dont certains sont semblables aux signes rongorongo. Mais, se référant aux autres cultures polynésiennes, la majorité des chercheurs avaient plutôt conclu que les glyphes pascuans étaient un moyen mnémotechnique utilisé, lors des cérémonies, par les récitants des traditions orales et des généalogies.
Certains linguistes réfutent cette interprétation. Même s'ils divergent dans leur analyse,une chose est sûre : ces alignements de signes gravés avec une très grande finesse sur des objets de bois forment bien une écriture. Car ils sont assemblés et/ou combinés de façon très structurée.
Problème d’interprétation et de chronologie
Les travaux de ces dernières 30 années, se fondent sur les récits des missionnaires et des explorateurs, les données recueillies par les ethnologues et les archéologues sur la culture pascuane et les études menées dans les années 50 par le linguiste allemand Thomas Barthel. Ce dernier avait répertorié plus de 14 000 signes - figures géométriques, plantes et animaux, objets usuels et parties du corps humain - à partir des vingt et une tablettes connues ainsi que des quelques pectoraux et d'un bâton-sceptre porteurs de glyphes identiques. Parmi ces 14 000 signes, il avait identifié 595 signes de base.
Barthel conclut que les éléments de base étaient trop nombreux pour former un alphabet et qu'ils représentaient donc des mots ou des concepts. L'une des caractéristiques les plus étonnantes du rongorongo est son mode de lecture, unique au monde : le « boustrophédon inversé » . Les signes se lisent de gauche à droite et de haut en bas, mais, à chaque fin de ligne, il faut tourner la tablette de 180° afin de placer la suivante dans le bon sens, car chaque ligne est tracée à l'envers par rapport à la précédente.
Un vieux Pascuan instruit des traditions de son peuple s'était mis à chanter en suivant ainsi les lignes sur une tablette que Mgr Jaussen lui avait présentée. Au bout d'un siècle d'essais et de cogitation, le rongorongo reste une énigme. Il ne fait aucun doute que son déchiffrement est encore loin.
Quant au moment de son apparition, l'hypothèse d'une création relativement récente, inspirée de l'écriture occidentale, semble compromise. Car ont a recueilli des graines de Paschalococos disperta, le palmier de l'île de Pâques.
Cet arbre possède un tronc caractéristique en forme de bouteille, que l'un des signes rongorongo serait censé représenter. Les plus récentes de ses graines sont datées de 1300 à 1640, elle sont donc antérieures à la découverte de l'île par les Espagnols en 1722. Si ce signe a été inventé alors que l'arbre existait encore, le rongorongo serait né bien avant l'arrivée des Européens - assurément après le VIe siècle, époque où les premiers hommes sont parvenus sur l'île.
Mais sous quelle impulsion ? Même si les chercheurs reconnaissent aux Pascuans de fabuleux dons artistiques, une technique raffinée du travail du bois et de la pierre, une inspiration variée et pleine de fantaisie, une évolution culturelle originale par rapport aux autres peuples polynésiens, ils ne savent à quoi attribuer une invention si élaborée. Ils restent en effet fidèles à l'idée que l'écriture n'apparaît qu'au sein de civilisations en plein développement, dominées par un fort pouvoir central, situées dans un réseau dense de contacts et d'échanges.
Les Pascuans, eux, sur leur île lointaine, grande comme celle d'Oléron, n'ont, pendant plus d'un millénaire, entretenu presque aucune relation avec le reste du monde. Ils se sont divisés en clans ennemis et ont cultivé leurs petits jardins.
Ce qui empêche de déchiffrer une écriture, c'est soit la méconnaissance du système linguistique auquel elle est liée, soit l'insuffisance des documents écrits. C'est pourquoi les linguistes butent toujours sur l'écriture de la civilisation de l'Indus dont, par ailleurs, certains symboles et dessins ressemblent étrangement à ceux de l'Ile de Paques.
Le très faible nombre des tablettes rongorongo connues rend peu fiables les études statistiques. Les travaux archéologiques menés sur l'île de Pâques apporteront peut-être d'autres documents aux linguistes.
Bibliographie :
- C. Chauveau : « Parlez-vous rongorongo ? », in Science & Vie n°950, Novembre 1996.
- Rongorongo: The Easter Island Script : History, Traditions, Texts. Steven R. Fischer, Clarendon Press, 1997.
- L'Ile de Pâques, historique, écriture et répertoire des signes des tablettes, etc., par Florentin-Étienne Jaussen (vicaire apostolique de Tahiti, Mgr., dit Tépano), Mgr Tepano Jaussen, E. Leroux, 1893.
- Grundlagen zur Entzifferung der Osterinselschrift Thomas Barthel, Hamburg, 1958.
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